Dossier: « Les nouveaux gTLDs, un nouvel Internet? »

tumblr_m5ka5d0tjX1r89eldL’arrivée de nombreux nouveaux domaines de premier niveau génériques (gTLD) rapporte beaucoup d’argent à l’ICANN. Mais représentent-ils également un atout pour l’entièreté de la communauté Internet ? La nouvelle manière de cataloguer des sites web semble en tout cas déjà créer un tout nouvel Internet.

Tout le monde le sait : les bons noms de domaines s’achètent à prix d’or sur Internet. Pour les domaines nationaux de premier niveau tels que .BE ou .NL, les prix sont encore raisonnables, mais si vous voulez enregistrer un véritable nom de domaine international sous un domaine de premier niveau générique comme .COM, .NET ou .ORG, il n’est pas évident d’encore trouver quelque chose d’abordable. Et cela pose un sérieux problème, surtout pour les entreprises des pays émergents qui souhaitent participer à la nouvelle économie sur Internet. En 2011, l’ICANN a donc décidé de complètement ouvrir Internet : tous ceux qui le souhaitaient (et qui étaient prêts à débourser 180.000 dollars) ont ainsi pu introduire une demande pour la création d’un nouveau gTLD.

L’initiative de l’ICANN a vite été controversée. En définitive, de nouveaux gTLD avaient déjà été créés durant ces dernières années, comme .MOBI et .COOP, mais ils n’avaient pas vraiment rencontré un grand succès. Encore aujourd’hui, on rencontre peu de noms de domaines avec ces extensions. Pourquoi cette nouvelle tentative aurait-elle donc du succès ? L’ICANN a été carrément accusé d’agir par pur appât du gain, au détriment des entreprises qui prendraient le risque de lancer un tel nouveau gTLD. Et au détriment du citoyen, qui est habitué aux .COM et .BE de ce monde, et qui serait déconcerté par tous ces nombreux nouveaux TLD.

Un Internet avec une identité plus claire

Maintenant que nous disposons de plus amples détails concernant ces nouveaux gTLD, il devient cependant clair que leur arrivée donnera une toute autre dimension à Internet. Ces extensions de domaines offrent en effet pour la première fois aux entreprises et organisations la possibilité d’affirmer leur identité de façon plus claire. Dorénavant, vous rencontrerez sur Internet des sites web avec une extension .FASHION, et vous saurez immédiatement qu’il s’agit du site web d’un créateur de mode, d’un fabricant de textile, d’un blog ou d’un magazine de mode, pour les fanas de la mode. Autrefois, l’internaute était confronté à une extension .COM « indéfinie », comme p. ex. four-roses.com – un nom de domaine qui pouvait très bien être celui d’une marque de whisky ou d’un site de rencontre. Mais aujourd’hui, l’internaute devinera de manière intuitive à qui il a affaire lorsqu’il visite four-roses.hotel, four-roses.bar, ou encore four-roses.garden : chez le premier, il pourra passer la nuit ; chez le deuxième, il pourra boire un verre ; et chez le troisième, il pourra probablement acheter des fleurs ou faire entretenir son jardin. De plus, certains nouveaux gTLD seront protégés, comme .BANK, une extension exclusivement réservée aux véritables banques. Lorsqu’un internaute surfe sur ing.bank, il peut être sûr à 100 % qu’il se trouve sur le site de sa banque et non sur un site frauduleux. Pour l’internaute, cette identité claire est de toute évidence une bonne chose.

Les entreprises et organisations disposent d’un choix plus vaste

Avec la masse de nouveaux domaines (1.900 demandes de nouveaux noms de domaines ont été introduites), les entreprises et organisations du monde entier y gagnent aussi. Par contre, les spéculateurs de domaines, qui essayent de vendre des noms de domaines .COM à des prix exorbitants, ne se réjouiront probablement pas de cette évolution. En fait, avec les nouveaux TLD, c’est un peu comme si on faisait table rase et qu’on reprenait à zéro tout ce qui concerne les noms des sites sur Internet. Avant, l’entreprise Prince, qui produit des biscuits, n’avait le choix qu’entre le domaine national de premier niveau (.BE pour la Belgique ou .NL pour les Pays-Bas), et une extension de domaine .COM ou .BIZ… Sans compter qu’elle devait payer ces deux derniers au prix fort. Désormais, elle peut également opter pour une extension de domaine .LTD, .LLC ou .INC pour les pays anglophones, ou pour .SARL en francophonie. Et avec l’extension .FOOD, elle peut indiquer qu’elle fabrique des produits alimentaires. Quant à ses campagnes vidéo virales, elle peut les diffuser via le domaine .PUB. Et pour ses réductions, offres promotionnelles et autres, elle peut utiliser le domaine .SAVE.

Et en même temps, l’artiste Prince peut avoir son propre domaine sur Prince.music, tandis que la troupe de théâtre amateur Prince peut elle aussi avoir son propre nom de domaine prince.theater, sans que cela lui coûte une fortune. La multitude de choix permet non seulement aux domaines d’être plus abordables, mais elle permet aussi d’apporter plus de clarté au niveau de l’identité sur Internet.

Clarté et identité, également sur le plan géographique

Cette identité, on la retrouve aussi à d’autres niveaux. Jusqu’à présent, une entreprise ou organisation ne disposait que du domaine national de premier niveau (ccTLD ou country code Top-Level Domain) pour indiquer l’endroit où elle est établie, ou le marché auquel elle s’adresse. Dans le cas d’une entreprise qui s’appelle Prince.be, vous savez qu’elle vend ses produits ou services en Belgique. Mais une entreprise souhaite souvent être encore plus spécifique en ce qui concerne cette identité ;  les ccTLD sont en effet valables pour un pays tout entier, alors que certaines régions se piquent de leur propre identité. C’est d’ailleurs pour cela que le nouveau gTLD .VLAANDEREN a été créé : pour que les entreprises et organisations puissent mettre l’accent sur leurs origines flamandes. La ville de Bruxelles a elle aussi créé son propre gTLD .BRUSSELS. La Wallonie est la seule région à ne pas encore avoir introduit une demande équivalente.

Au-delà de nos frontières, la Frise (.FRL), la Catalogne (.CATALONIA) et la Galicie (.GAL) ont elles aussi obtenu leur autonomie sur Internet, même si elles ne l’ont pas au niveau politique. Le message de ces sites web avec ces extensions de domaines est clair : ils appartiennent à une entreprise établie dans cette région, et leurs propriétaires sont fiers de leurs racines.

Aujourd’hui, de nombreuses villes ont elles aussi leur propre domaine web : .AMSTERDAM, .MIAMI, .BARCELONA, .ISTANBUL... Et bien évidemment, .GENT (Gand), le berceau de tant d’entreprises Internet, fait elle aussi partie de la liste. Par ailleurs, les villes qui ont choisi de ne pas avoir leur propre domaine peuvent utiliser l’extension .CITY pour tout de même construire leur identité.

Quels sont les avantages ? Chez hilton.amsterdam ou hilton.barcelona, vous savez immédiatement où vous êtes. Les services touristiques peuvent quant à eux utiliser ces mêmes extensions de domaines pour promouvoir leurs services avec p. ex. museumvangogh.amsterdam ou gaudi-tour.barcelona. De plus, ces noms de domaines géographiques se prêtent parfaitement à la création de guides d’entreprises, d’organisations ou de choses à voir ou faire à un certain endroit : shopping.brussels, developers.brussels, vegetarian.brussels… les possibilités sont infinies.

Enfin des noms de domaines internationalisés (NDI)

Il ne faut cependant pas oublier un aspect essentiel des nouveaux gTLD : les noms de domaines internationalisés. Il s’agit de noms de domaines qui ne s’écrivent pas en utilisant les caractères ASCII (les lettres de l’alphabet de A à Z, les chiffres de 0 à 9, ainsi que quelques caractères spéciaux). Cela fait bien trop longtemps qu’Internet est focalisé sur l’Occident et que les autres alphabets (chinois, arabe, japonais…) ne sont pas pris en compte. Il existait bien des sites web rédigés dans ces langues, mais l’adresse web devait toujours être introduite dans le navigateur en utilisant des caractères ASCII.

Pour faire un geste symbolique, l’ICANN a décidé de donner la priorité à une série de TLD internationalisés parmi la liste des 1900 nouvelles demandes soumises. Ainsi, le premier véritable gTLD à être activé sera شبكة., qui se prononce « Shabaka », et qui signifie « Web » en arabe – une langue qui est parlée dans 20 pays, par 40 millions d’individus. Trois autres NDI seront eux aussi probablement très vite en ligne : онлайн (« En ligne » en russe), сайт (« site web » en russe) et 游戏 (« jeu » en chinois). L’arrivée des noms de domaines internationalisés fera enfin d’Internet un lieu pour tous – qu’ils parlent le chinois, le russe, le japonais, le thaïlandais ou n’importe quelle autre langue.

Un vaste éventail

Outre les domaines géographiques, commerciaux et les TLD internationalisés, il y a encore de nombreuses autres catégories qui apporteront de la clarté sur le Web pour les internautes, et qui seront plus attrayantes pour les entreprises. Il y a notamment les gTLD culturels comme .IRISH, .ISLAM, .LATINO ou .GAY. Mais il y a aussi des TLD pour le secteur des boissons, de la nourriture et des restaurants, comme .MENU, .VIN ou .VODKA. Pour les professions et l’artisanat, il y a .FARM, .TATTOO, .JEWELLER, .CAR ou .ADULT. Dans le secteur de la technologie, on utilisera des TLD tels que .CLOUD, .WEBCAM, .HOST et .EMAIL. Mais on pourra aussi utiliser des extensions pour souligner l’image d’un produit, comme .COOL, .SEXY et .HOT.

Des opportunités pour les opérateurs

Ces nouveaux TLD représentent un grand avantage non seulement pour l’utilisateur et les titulaires (les entreprises qui ont choisi d’enregistrer un domaine sous ces nouveaux TLD), mais aussi pour les entreprises qui les gèreront. Il est vrai que ces dernières ont dû débourser 180.000 dollars pour que leur dossier soit pris en compte et qu’elles devront ensuite payer un montant fixe annuel à l’ICANN pour garder les droits de gestion de ce gTLD, mais d’autre part, si le gTLD rencontre du succès, elles pourront en tirer d’intéressants bénéfices. Elles sont d’ailleurs libres de choisir le prix que coûtera l’enregistrement d’un domaine dans ce nouveau gTLD et pourront compter sur un revenu fixe, année après année.

Mais qui sont les entreprises qui se sont lancées dans cette aventure ? Eh bien, il s’agit avant tout des géants d’Internet. Via l’entreprise Charleston Road Registry, Google a p. ex. introduit des demandes pour pouvoir gérer 101 nouveaux TLD. Amazon en a demandé 76. La palme revient toutefois à l’entreprise Donut Inc., qui via des partenariats avec diverses entreprises a introduit pas moins de 307 demandes !

Vous comprendrez bien que pour des nouvelles extensions très prisées telles que .app ou .cloud, la concurrence fait rage, et que diverses entreprises se disputent leur gestion dans le cadre de « contention sets », dont le but est de départager les divers candidats ayant introduit des demandes identiques. Des demandes identiques ont été introduites pour 230 nouvelles extensions de domaines, dont : .APP (13), .HOME et .INC (chacune 11), .ART (10), .BLOG, .BOOK, LLC, .SHOP (chacune 9), et bien d’autres encore. Des enchères détermineront les noms des gestionnaires finaux de ces nouvelles extensions.

Limité vs libre

Ces enchères soulèvent une autre question liée aux nouveaux gTLD : les entreprises fortunées seront-elles les seules à pouvoir tirer profit de l’ouverture des noms de domaines, voire à en abuser ? Le fait qu’un gTLD soit vendu aux enchères dans le cadre d’un « contention set » implique en effet forcément que celui qui a le plus d’argent remportera le combat. De plus, dans plusieurs de ces cas litigieux, deux grands acteurs d’Internet font partie des candidats : Google et Amazon. Et tous deux ont d’énormes moyens financiers.

S’ajoute à cela le fait que les deux entreprises veulent utiliser certains noms de domaines exclusivement pour leurs propres produits, et qu’elles n’accepteront aucun enregistrement de la part d’autres entreprises. Google se montre encore relativement « altruiste » et n’applique cette restriction que dans certains cas, comme pour .DRIVE. De son côté, Amazon veut cependant garder pour elle tous les nouveaux gTLD qu’elle réussira à obtenir, y compris .CLOUD, .FAST, .APP, .BOOK…

La limitation d’une chaîne générique, un mot qui a une signification générale, à l’utilisation par une seule entreprise a mené à plusieurs GAC Early Warnings, une forme de protestation émanant du Governmental Advisory Committee. Dans certains cas, la protestation semble justifiée ; pourquoi réserver .APP à Amazon, alors que toutes sortes d’autres entreprises et systèmes d’exploitation proposent également des applications ?  Dans d’autres cas, la réponse semble plus nuancée. Le fait que .BANK soit exclusivement réservé à de véritables banques coule de source. Mais faut-il complètement libéraliser .RADIO ou, comme le voudrait l’EBU (European Broadcast Union), faut-il le réserver aux stations de radio reconnues et aux stations amateur enregistrées ?

On attend actuellement la décision des comités qui doivent prendre des décisions par rapport aux GAC early warnings.

Autre petite anecdote à cet égard : le géant du Web Amazon souhaite donc s’approprier nombreuses chaînes génériques et être le seul à pouvoir les utiliser. Mais il devra faire une croix sur le gTLD .AMAZON qui est réclamé par les habitants de l’Amazonie, qui font valoir leurs droits culturels sur ce nom de domaine.

Avez-vous perdu le .nord ?

Avec 1.900 demandes de gTLD soumises, l’offre risque de devenir quelque peu confuse. Les entreprises restent donc dans l’expectative – pour autant qu’elles soient déjà au courant de cette nouvelle évolution. Quant au commun des mortels, il semble ne pas être du tout au courant de cette révolution qui se prépare sur Internet. Heureusement, certaines entreprises – Combell de Gand la première – entreprennent des initiatives pour informer les entreprises et le grand public au sujet de ce grand chamboulement.

Sur son site web, les gTLD sont tous présentés, de .APP à .ZONE, avec quelques explications et l’éventuelle mention des restrictions qui s’y appliquent, comme p. ex. pour .BANK, qui est exclusivement réservé aux organismes bancaires officiellement reconnus. Les nouveaux gTLD sont également divisés en catégories, afin de vous aider à trouver la bonne catégorie pour votre entreprise ou organisation.

De plus, vous pouvez déjà pré-enregistrer un nom de domaine avec les nouveaux gTLD. Ce faisant, Combell se chargera pour vous du suivi de la procédure concernant le lancement du nouveau TLD, vous avertira dès que l’enregistrement sera ouvert et lorsque l’on connaîtra le prix de l’enregistrement d’un nom de domaine avec ce gTLD. Ensuite, si vous donnez votre accord et que le nom de domaine est encore disponible, nous l’enregistrerons pour vous.

Tout le monde y gagne

Avec les nouveaux gTLD, Internet entrera dans une ère nouvelle. Il y aura plus de clarté au niveau de l’identité, non seulement du point de vue commercial, mais aussi en ce qui concerne l’identité culturelle et géographique. Le fait qu’il soit désormais possible d’enregistrer des noms de domaines internationalisés signifie que le glissement vers un meilleur équilibre sur Internet pourra enfin avoir lieu. Pour les citoyens, c’est une bonne nouvelle. Quant aux opérateurs, ils seront peut-être assis sur une mine d’or. De son côté, l’ICANN encaissera également d’importantes recettes, qui seront utilisées dans le cadre du développement ultérieur d’Internet. C’est donc une situation gagnant-gagnant pour tous, mais surtout pour les fabricants de biscuits Prince, la troupe de théâtre Prince, et l’artiste Prince !